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Le Blog

23/10/2018

Au temps suspend ton vol

 

 

C’étaient les belles journées d’automne, d’un ciel bleu sans nuage. Le soleil, d’un été qui ne veut pas mourir, nous gratifie de ses rayons encore chauds ; l’ombre, elle, nous fait sentir le vent frais du nord, pour nous rappeler qu’octobre touche à sa fin. Quand le brouillard matinal s’estompe, la lumière blanche et basse ne peut assécher la rosée dans l’herbe, qui fait briller nos bottes que l’on a remis avec tristesse. Le bleu pâle est partout, de quel côté que l’on regarde ; légèrement teinté de rose quinacridone pour adoucir les teintes vers le lointain d’un horizon qui voudrait encore reculer.
La nature est silencieuse comme figée par les couleurs.
Je la regarde, dans sa simplicité, dans sa nudité, comme la femme que l’on aime. Le plaisir est présent et suffit à occuper l’esprit, le soulageant de toute pensée inutile à ce parfum bienfaiteur.
Derrière la baie vitrée, je perçois le frémissement des feuilles sous le souffle léger de l’air. Elles s’agitent, mais restent résolument accrochées à leurs branches, ne voulant pas trahir l’habit vert qu’elles ont gardé en remerciement de cet été indien .
L’oeil somnolant  s’est mis en vacance. Et pourtant, je suis bien à ma table à dessins. Il faut reconnaître que la main ne s’agite pas. Le regard quitte une page encore blanche pour repartir vers l’immensité bleue. Ce n’est pas la mouche parcourant les carreaux qui soustrait le regard de sa quiétude.
Voilà que je sursaute. Mes yeux ne voient toujours rien, mais les sens se sont réveillés, mis en alerte par mon oreille. Un bruit lointain et de plus en plus perceptible, précède, enfin, un scintillement argenté dans le pourpre du ciel. Elles arrivent, face au soleil, dans leur musique reconnaissable.
Je les vois à travers la baie vitrée. Comme dans les images d’archive, les escadrilles de la British Airforce survolant la Manche à l’été 44, les grues descendent. Toujours une belle organisation, des vols en forme de V foncent vers moi, par dizaines, elles passent. Toujours impressionné , je sors et me tords le cou pour ne rien manquer de ce spectacle. La nature nous l’offre, un cadeau cela ne se refuse pas. .Le petit étang de l’autre côté de la route est  un grain de sable dans le rouage de ces escadrilles et amplifie leurs échanges sonores. Elles ne sont que des petits points dans le ciel, mais leur conversation devient très audible. La possibilité d’étancher la soif a, soudainement, désorganisé le plan de vol. Une chorégraphie, sur plusieurs niveaux, m’est proposée ,je ne sais qui est le maître de ballet, mais dans le silence de mon observation, je lui adresse mes remerciements.
Puis, tout reprend sa place sans que je comprenne comment. Comme les vagues déferlent sur le sable, les vols se succédent à mon zénith.
Le bruit s’éloigne peu à peu, elles étaient des centaines ; en quelques minutes, les taches s’estompent, mes yeux les devinent encore, à moins qu’ils ne les imaginent dans les teintes pastel de ce bel après midi d’automne.
Elles poursuivent leur long voyage, le mien me reconduit par l’escalier,  en mon atelier. Rien à bouger, la lumière a légèrement décliné. Tout me prête à vagabonder, la page restée blanche par une inspiration endormie, qu’au fond de moi je n’ose réveiller.
« Au temps suspend ton vol » fut écrit, mais j’aime la beauté éphémère de ces instants. Les vols descendants nous rappellent que nous sommes dans le printemps de l’hiver. Les couleurs vont se refroidir, la nature, nous faisant croire qu’elle s’endort, va nous laisser à nos coins du feu, avec le bois craquant dans les flammes, bois de branches au bout desquelles, il y a peu, des feuilles encore vertes, se balançaient dans la lumière d’un soleil d’été, qui avait  débordé sur le calendrier de l’automne.